Opinion. Dans ce beau pays qui est le
nôtre, si vous n’êtes pas une personne bien en vue et si on ne vous aime pas
trop en haut lieu, il vaudrait mieux ne pas avoir affaire à la police
marocaine. Si vous êtes cambriolé, agressé, ou si quelqu’un essaye de pénétrer de
force dans votre maison il faudrait se barricader, garder son sang froid et ne
pas demander aux forces de l’ordre d’intervenir. Cela ne sert à rien.
Au pays du ministère de la Justice et des
libertés, il y a beaucoup d’injustices et pas de libertés du tout. Même pas
celle de demander à la police de venir protéger votre intégrité physique et vos
biens.
Mais attention, comme nous vivons sous un
régime qui a réponse à tout, avant de dénoncer les faits, il faut être précis,
aller aux faits et s’appuyer sur des preuves. Sinon, on vous traitera de parano
ou de provocateur
Samedi 1h00 : Ancienne médina de Tétouan.
Un homme du nom de Hassan, visiblement dans un état second frappe violemment la
porte de ma maison. Il est ivre, il tient une bouteille de vin à la main droite
et un sebsi de kif à la maison gauche. Que cherche-t-il ? Est-ce un
baltagi ? Un shabiha marocain ? J’ouvre la porte. Ch’heb el
khatar ? (Traduction non-officielle : Je peux vous être
utile ?)
L’ivrogne : Il y a un chat qui m’emmerde
et qui vit chez vous.
Mais, je n’ai pas de chat.
Pourtant, il est bien chez vous.
Je vous dis que je n’ai pas de chat, ni de
chien. Aucun animal.
Ah bon… J’ai été mal renseigné alors. Au
revoir.
Au revoir.
Quelques minutes plus tard, les mêmes coups qui
défoncent ma porte résonnent. J’ouvre la porte.
Qu’est-ce qui se passe encore ?
On m’a dit que le chat est bien chez vous.
Je vous répète que je n’ai pas de chat. Vous
l’avez vu où ? Qui vous a dit ça ?
Euh… je ne sais pas.
Je ferme la porte. Les coups sur la porte retentissent
avec plus de vigueur. Des insultes fusent. Des menaces de mort aussi. J’appelle
un copain avocat qui m’explique clairement la situation. « Ecoute. Tu
devrais déposer plainte, mais ce sera ta parole contre la sienne. Va
immédiatement au commissariat de police le plus proche et demande-leur de venir
constater l’infraction ou l’agression, ainsi que l’état d’ébriété de cette
personne ».
Je sors par une autre porte et je me rends au
nouveau commissariat de la place Ouessaâ, en plein centre de la médina. Ouvert
en grandes pompes il y a seulement quelques semaines ce poste de police est
censé lutter contre le crime et l’insécurité dans notre bonne vieille ville de
Tétouan
Je trouve deux jeunes policiers attablés. Ils
sont en train de manger. Je leur explique la situation. « Nous ne pourrons
rien faire. Il faut appeler la permanence de police qui enverra tout de suite
une équipe », répond l’un d’eux. La permanence de police se trouve à
l’autre bout de la ville, alors que le commissariat de Ousseaâ se trouve à 200
mètres de ma maison…
J’appelle la permanence au 0539702961.
Allô, la police ? Voilà, il y a un
monsieur complètement ivre qui casse ma porte.
Ivre ? C’est pas possible. On est en plein
mois de Ramadan. Vous êtes sûr ?
Venez constater vous-même ! C’est au …
Non, non, non… Pour qu’on puisse vous
accompagner, il faudrait que vous vous présentiez à la permanence de police.
Et ça ne marche pas au téléphone ?
Non, non, non…
Je prends un taxi et je me rends à la
permanence de police située à la sortie de la ville.
Il est 2h00 du matin et j’explique la situation
au policier de garde. Il prend mon nom, celui de mon père, ma mère, mon
adresse, le numéro de ma CIN, etc…
Profession ?
Journaliste.
Dans quel journal ?
Dans aucun. Interdit d’écriture.
Comment ? C’est une blague ?
Ben non… Dans ce beau pays c’est tout à fait
normal.
Le policier me regarde bizarrement. Il utilise
un talkie-walkie pour parler avec ses collègues, puis il sort dans la rue. Il
me demande l’adresse exacte. Je la lui donne encore une fois, avec des détails,
des précisions.
Retournez chez vous et attendez la police. Elle
arrive tout de suite, me dit-il.
Il est 2h30. Je rentre chez moi. L’ivrogne est
toujours là. Il continue de casser ma porte. Des voisins contemplent la scène
depuis leurs fenêtres, mais n’osent sortir. Je préviens Hassan que la police
arrive. « Elle ne viendra pas », répond-il, sourire aux lèvres. Un
voisin s’exclame du haut de sa terrasse : « Mais cela fait plus de
vingt ans que nous prévenons la police »
Je me dis qu’au pays du « commandeur des
croyants », avec un musulman éméché, en plein mois de Ramadan, qui agresse
d’autres musulmans qui ne le sont pas, la police devrait tout de même intervenir.
Et puis, nous ne sommes pas en Somalie ni au Mali, il y a un Etat ici.
Je reprends le téléphone et je rappelle la
permanence de police. Je le fais à plusieurs reprises. « Mais je suis un
citoyen comme tout le monde, vous devez venir quand même », leur dis-je. A
chaque fois c’est une réponse différente. « Les policiers vont
venir », « Les policiers sont partis », « Ils sont en
route ».
La réponse la plus marrante est celle-ci :
« Les policiers sont en train de prendre leur s’hour. Ils doivent bien
manger. Ils partiront chez vous tout de suite après ». Il est 3h45.
Criminels du monde entier si vous ne voulez pas
être chopé venez au Maroc et commettez votre crime durant le f’tour ou le
s’hour ! Personne ne viendra vous déranger !
Avec ces centaines de estafettes de police qui
sillonnent la ville, avec une véritable armée de flics, en civil et en
uniforme, ramenés d’un peu partout du Maroc pour veiller à la sécurité du roi
qui vient d’arriver à Tétouan, il n’y a donc pas un seul policier pour venir
constater une agression caractérisée contre le domicile d’un citoyen ?
A 5h45, je rappelle pour la dernière fois la
permanence de police. L’ivrogne frappe toujours la porte de ma maison.
L’esclandre dure depuis 1h00 du matin. « Il faudrait que vous guidiez la
police vers votre maison. Vous pouvez revenir à la permanence ? »,
me répond le policier. Je me rends compte que les policiers se moquent de moi.
A 5h51 : Je rappelle l’avocat. Je lui
raconte en détail tout ce qui s’est passé depuis qu’il m’a conseillé d’appeler
la police.
L’avocat : Mais tu as bien donné ton
adresse, non ?
Oui. 6 ou 7 fois, avec des précisions.
L’avocat : Alors là je n’ai pas de
réponse. C’est tout de même trop gros. Je pense que ton affaire va au-delà d’un
fait divers. Fais gaffe à toi ! Il raccroche.
A 6h00 du matin, l’ivrogne Hassan est toujours
là. Il a dû vider au moins trois bouteilles de vin et fumer une douzaine de
calumets. Mais point de police.
Voilà les faits tels qu’ils se sont déroulés.
Ni plus ni moins. Pas de spéculation et je ne fais même pas d’interprétation.
Je me dis que si j’avais été un ambassadeur d’Israël, ou une
personnalité marocaine la police serait venue sur le champ et elle aurait pris
en flagrant délit l’agresseur. Mais, la police avait des raisons de ne pas
intervenir que je n’arrive pas à cerner.
La semaine prochaine, je raconterai d’autres
histoires bizarres qui me sont arrivées à Tétouan depuis quelques mois. Vous
jugerez vous-mêmes de leur degré de bizarrerie.
Si vous voulez faire des interprétations, elles
sont permises.
Ali Lmrabet
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